Au-delà de l’ERP : Les agents d’IA vont-ils remplacer l’épine dorsale numérique de l’industrie ?
Pourquoi la déclaration de Calin Drimbau sur « la mort des ERP » a déclenché l’un des débats les plus animés de la tech d’entreprise
Calin Drimbau, CEO de Broadn, a récemment enflammé LinkedIn en déclarant que « les ERP vont lentement mourir ». Son constat est radical : les industriels en ont assez des implémentations interminables, des consultants hors de prix et de systèmes déjà obsolètes avant même leur mise en service. Plutôt qu’une nouvelle version d’ERP, il estime que les entreprises veulent « des agents au-dessus de leurs données ».
Sa vision : la donnée est le véritable actif. L’avantage compétitif de demain résidera dans des couches d’orchestration et des flux adaptatifs pilotés par des agents d’IA capables de gérer les opérations de bout en bout. Pour Drimbau, « le SaaS tel que nous le connaissions est en train de mourir. » La prochaine vague appartient aux entreprises capables de préparer dès maintenant leur stratégie data + agents.
Ce post a déclenché une avalanche de réactions. Certains ont applaudi, d’autres ont critiqué violemment. Cette confrontation révèle une fracture profonde : l’ERP est-il devenu obsolète, ou les agents d’IA ne sont-ils qu’un nouvel effet de mode ?
Le procès de l’ERP : modèle dépassé ou colonne vertébrale ?
Plusieurs commentateurs ont appuyé le constat de fatigue face aux ERP. Brandon Card, CEO de TERZO, a pointé : « L’ERP manque l’information la plus critique : les métadonnées des documents. »
Rod Bishti, CEO de Bosbec, a ajouté : « Des couches adaptatives capables d’orchestrer les workflows plutôt que d’enfermer les entreprises dans une seule structure vont changer la donne. »
Vish Puttagunta, dirigeant dans l’agroalimentaire, a été encore plus direct : « Les sociétés de conseil basées sur l’ERP vont mourir. Si vous ne pouvez pas déployer en 2–3 mois et récupérer au moins 3 % de marge, ce n’est pas la peine. »
Mais Rodrigo Ramírez Riquelme, responsable supply chain, a tempéré : « J’ai vu trop d’entreprises célébrer la ‘mort de l’ERP’ tous les 5 ans. La réalité ? L’ERP ne meurt pas, il mute. Le problème n’est pas le système, mais l’obsession des projets mastodontes qui s’effondrent sous leur propre poids. »
La question clé : où vivent les données ?
Pour d’autres, l’argument de Drimbau oublie l’essentiel : si l’ERP meurt, où va la donnée ?
Sam Graham, auteur et observateur ERP, a rappelé : « L’IA facilitera l’accès et l’analyse des données dans les ERP, mais si vous n’avez pas d’ERP, les données vont s’éparpiller dans des silos et des tableurs. »
Nick Van Maele, project manager, a insisté : « L’ERP doit générer le même résultat pour la même entrée, de manière déterministe. Les agents, eux, sont probabilistes. ERP et bases relationnelles ne vont pas disparaître. »
Vi Jayakumar, consultant SAP, a résumé : « Les ERP fonctionnent parfaitement quand ils sont bien implémentés. L’IA doit être utilisée, mais l’intégrité des données et la gouvernance restent non négociables. »
Agents et ERP : coexistence plus que substitution
De nombreux avis ont convergé vers une position intermédiaire : les agents ne remplacent pas l’ERP, ils l’enrichissent.
Mateus Parra Sgarbosa a écrit : « L’ERP restera le système de référence, mais la manière de travailler autour va être complètement redéfinie. L’ERP deviendra une ‘base de données muette’, avec intelligence et orchestration dans la couche agent. »
Melvi Pais a proposé une analogie : « Quand le e-commerce est arrivé, les centres commerciaux étaient censés disparaître. Ils existent toujours. La cohabitation est le scénario le plus probable. »
L’angle oublié : l’utilisateur
Mohamed Marwan, vétéran des projets ERP, a reproché à Drimbau d’ignorer les utilisateurs : « Tant que les gens ont du mal avec les ERP, ils auront du mal avec les agents, sauf si ces derniers remplacent totalement les humains et les processus. Et là, c’est une version effrayante de l’entreprise DAO. »
Drimbau lui-même a répondu : « L’UX va évoluer vers une interface de supervision et de réponse à des systèmes agents qui travaillent pour l’utilisateur. »
Mais la question demeure : les agents simplifient-ils vraiment l’expérience, ou ajoutent-ils de la complexité ?
L’IA comme moteur de revenus, pas seulement d’efficacité
Jason Ling, ex-Disney et Expedia, a déplacé le débat : « Tout le monde traite l’IA comme un centre de coûts. Félicitations, vous avez acheté la calculatrice la plus chère du monde. Les PDG qui ont compris l’utilisent pour attaquer le revenu : upsells prédictifs, tarification dynamique, produits qui se développent seuls. L’IA n’est pas là pour améliorer de 20 % un mauvais modèle économique. Elle est là pour en créer un nouveau. »
Cette réflexion élargit le débat. Si l’IA n’est qu’un moyen de réduire les coûts ERP, elle sera sous-exploitée. Si elle devient un moteur de transformation des modèles d’affaires, alors elle dépasse largement le champ de l’ERP.
L’ERP a déjà survécu à plusieurs annonces de décès
Chris Andrews, Partner chez EY, a rappelé : « J’ai lu la même chose il y a 15 ans lors du boom du SaaS. Les ERP sont toujours là. Dans les grandes entreprises, on parle désormais d’architectures multi-niveaux : systèmes de référence, de différenciation et d’innovation. »
Ketharaman Swaminathan a renchéri avec humour : « J’ai entendu ‘RIP ERP’ en 1999. L’ERP a survécu 26 ans et a prospéré. Il survivra encore 26 ans, IA ou pas. »
La leçon de l’histoire est claire : l’ERP s’adapte. Cloud, SaaS, mobile, maintenant IA… Les grands éditeurs (SAP, Oracle, Microsoft) intègrent déjà l’IA. Le scénario le plus probable est l’évolution, pas la disparition.
Gouvernance et risque : qui porte la responsabilité ?
Daryl Hewison a posé une question fondamentale : « Comment les données arrivent-elles là où les agents opèrent ? Sont-ce d’autres agents qui les génèrent ? Je sens que des catastrophes se préparent. »
Sébastien Troszczynski a mis en garde : « Dans certains métiers, vous avez besoin d’un workflow de validation ERP. Voulez-vous vraiment que l’agent ‘improvise’ ? »
La gouvernance est donc le point critique. L’ERP est souvent accusé d’être trop rigide ; l’IA risque d’être trop flexible. Entre les deux, il faut trouver un équilibre qui assure la confiance.
Alors, l’ERP va-t-il mourir ?
Tout dépend de ce qu’on appelle ERP. Si on parle des projets mastodontes, hors de prix, menés par des armées de consultants, alors oui, ce modèle est condamné. Mais si on parle de systèmes déterministes garantissant conformité, audit et stabilité, alors non, ils resteront essentiels.
La réalité est que l’ERP va se transformer en couche invisible. Les utilisateurs interagiront avec des agents intelligents, mais sous le capot, un ERP continuera de tenir les comptes et d’assurer la conformité.
Comme l’a résumé Nick Van Maele : « Les agents peuvent contrôler ou augmenter les fonctions ERP, mais pas les remplacer. Pas encore, en tout cas. »
Conclusion
La provocation de Calin Drimbau a eu le mérite d’ouvrir le débat. Mais les commentaires montrent que l’avenir sera hybride. L’ERP ne disparaîtra pas ; il évoluera vers une infrastructure discrète, augmentée par des couches agentiques.
La vraie question n’est pas “ERP ou agents ?” mais “Comment utiliser l’IA pour dépasser l’optimisation incrémentale et réinventer nos modèles d’affaires ?”
Là se joue l’avenir de l’entreprise numérique.