De la présentation PowerPoint à la remise en cause : l’avenir incertain du conseil en supply chain
Il fut un temps où le conseil était la voie royale pour les jeunes diplômés en école de commerce ou d’ingénieur. Un passage obligé, entre PowerPoint, frameworks, et déplacements hebdomadaires, qui formait à la fois à l’analyse stratégique et à la pression client. Aujourd’hui, ce modèle semble grincer. En particulier dans le domaine du conseil en supply chain, où la transformation numérique, l’émergence de l’IA générative, et les pressions budgétaires bouleversent les règles du jeu.
Dans une publication remarquée sur LinkedIn, Jason Busch, expert reconnu dans l’univers des technologies d’achat, a tiré la sonnette d’alarme : le conseil tel que nous l’avons connu est en train de muter. Et si les grands cabinets comme Deloitte, BCG ou Accenture s’adaptent, les jeunes talents, eux, risquent bien de rester à quai.
Moins de jeunes, plus de machines ?
Première tendance inquiétante : les cabinets réduisent drastiquement leurs recrutements en sortie d’école. Chez Deloitte, c’est déjà acté. D’autres suivront. Pourquoi ? Parce qu’aujourd’hui, ils préfèrent embaucher des profils déjà expérimentés — des consultants qui ont “des cicatrices”, c’est-à-dire une vraie expérience opérationnelle dans l’industrie, dans la tech, ou sur le terrain.
Et ce n’est pas tout. De plus en plus, ces mêmes cabinets développent des “agents digitaux” pour exécuter des missions à la place des humains. Des bots capables d’analyser des données, de produire des benchmarks, voire de faire du conseil “à la carte”. L’idée ? Livrer une solution directement exploitable, sans passer par la case slide 86 du deck PowerPoint. Comme le dit Busch : “Le framework devient le produit”.
Quand le client devient auditeur
Dans ce nouveau paradigme, les clients — et notamment les directions supply chain ou achats — ne se contentent plus de “recevoir” des recommandations. Ils exigent des résultats mesurables, des outils, de la transparence… et des garanties. Résultat : ce sont les directions achats qui se retrouvent à auditer les consultants, à l’image de ce qui se fait dans les achats de logiciels.
Le rôle du consultant change donc profondément. Il ne s’agit plus d’expliquer une méthodologie, mais de prouver un ROI. De moins en moins de clients acceptent de financer des “équipes juniors” pilotées par un partner invisible. Le modèle top-heavy d’AlixPartners ou d’Alvarez & Marsal, avec des profils seniors, expérimentés, ancrés dans l’opérationnel, s’impose peu à peu.
Supply Chain + IA = Défi existentiel pour les consultants ?
C’est peut-être dans le conseil en supply chain que la disruption sera la plus brutale. Pourquoi ? Parce que les outils digitaux évoluent à une vitesse fulgurante. APS, TMS, WMS, IA de prévision, jumeaux numériques... Les entreprises peuvent désormais internaliser des capacités qui, hier encore, étaient le terrain exclusif des consultants.
Michael Lamoureux, autre expert du secteur, ne mâche pas ses mots : “Les modèles d’IA générative sont dans une spirale de déclin irréversible. Ils s’entraînent sur leurs propres données générées, ce qui produit des résultats incohérents. On court à la catastrophe si on n’a pas de garde-fous humains.” Et d’ajouter, avec un humour grinçant : “Mieux vaut payer un vieux briscard sobre qu’un agent IA halluciné.”
Réinvention ou disparition ?
Face à ces défis, faut-il enterrer le conseil en supply chain ? Pas si vite. Comme le souligne Joël Collin-Demers, mentor en achats digitaux, le salut viendra de la capacité à “prouver avant d’entrer”. Fini le modèle où l’on apprend tout sur le tas. Les jeunes consultants devront avoir “des reçus” : avoir lancé un produit, géré un projet réel, ou vendu une solution. Bref, avoir vécu.
Hanyin Chen va plus loin : “Ce n’est pas la qualité de l’outil qui compte, c’est la capacité du client à comprendre et à agir sur la base de l’information reçue. Un consultant qui sait écouter, embarquer, et simplifier a bien plus de valeur qu’un outil brillant mais incompris.”
Et Joe Payne de conclure : “Tout est cyclique. Dans dix ans, les entreprises réembaucheront des consultants… pour réparer les dégâts laissés par les IA.”
Une révolution silencieuse… mais radicale
Ce qui se joue aujourd’hui, c’est moins la fin du conseil que sa métamorphose. Dans le domaine de la supply chain, cela se traduit par :
une exigence accrue de résultats concrets, mesurables et rapides
la montée en puissance des outils intégrés, qui combinent benchmarking, prévision, visualisation
une pression sur les prix, qui rend les grands projets de conseil traditionnels difficilement justifiables
une transformation du rôle du consultant, désormais attendu comme un “opérateur augmenté” plus qu’un simple “analyste externe”
Et surtout : une remise en cause de la fameuse “formule magique” des grands cabinets — juniors pas chers + partners invisibles = mission rentable. Cette recette ne fonctionne plus. Les clients veulent du concret, pas du storytelling.
À méditer :
Les consultants en supply chain doivent-ils devenir des développeurs low-code ?
Comment valoriser l’intuition et l’expérience humaine face à l’explosion des outils IA ?
Le conseil restera-t-il un tremplin de carrière... ou deviendra-t-il un maillon obsolète ?
Et vous, quel avenir voyez-vous pour le conseil en supply chain ? Avez-vous déjà vu un “bot” échouer là où un bon consultant aurait réussi ? Ou l’inverse ?