Gifi face à la tempête : quand un ERP met à nu toutes les failles
En 2023, Gifi, l’enseigne française bien connue pour ses produits de décoration et objets du quotidien à prix bas, a vécu une crise majeure. Une migration ERP pensée pour moderniser ses opérations s’est révélée désastreuse. Mais plus encore qu’un échec informatique, cette histoire révèle des faiblesses plus profondes : gouvernance, stratégie, transformation digitale... L’analyse de cette mésaventure, enrichie par une trentaine de commentaires d’experts sur LinkedIn, mérite qu’on s’y attarde.
Ce que l’on sait : une transition ratée à plusieurs niveaux
En juin 2023, Gifi décide de quitter son ancien ERP (GCE d’Aurea) pour un système plus moderne, SAP ECC 6, accompagné de solutions comme Aptos, Reflex et Optimix. Objectifs : automatisation, amélioration de la visibilité des stocks, gains de productivité. Mais les ambitions se heurtent très vite à la réalité :
-9% de chiffre d’affaires sur un an.
Rayons vides, ruptures critiques, produits envoyés aux mauvais endroits.
Stocks désynchronisés.
Procédures manuelles en urgence.
Trésorerie sous pression.
Un porte-parole confirme à BFM Business : l’intégration a posé de « nombreux problèmes structurels », notamment sur le suivi des résultats, les stocks et les approvisionnements. Gifi a sollicité l’aide du Comité Interministériel de Restructuration Industrielle (CIRI) pour renégocier sa dette.
L’analyse des professionnels : un concentré de mauvaises pratiques
Sur LinkedIn, de nombreux experts se sont exprimés. Voici ce qu’on peut en retenir.
1. Mauvaise gestion de projet et manque de gouvernance
Mohamed M. souligne l’absence de pilotage solide. Leyla Abasova va plus loin : pas de stratégie claire, gouvernance absente, responsabilités mal définies. Philippe Ginestet a mandaté la banque Lazard pour trouver un repreneur, signe que les conséquences sont plus profondes qu’il n’y paraît.
2. Sous-estimation du changement et de la formation
Joëlle Bouguem Sihoute, consultante SAP, rappelle qu’un ERP ne concerne pas que la DSI. C’est un projet d’entreprise. Or, chez Gifi, les équipes ont été peu ou mal formées, et la conduite du changement a été bâclée. Un point appuyé par plusieurs témoignages, dont celui de Vincent Delerue.
3. L’erreur classique : croire qu’un ERP est une fin en soi
Jeremy Catteloin rappelle qu’un ERP n’est pas suffisant : il faut des outils complémentaires comme un APS. Christophe Vallet insiste sur le besoin de cadrage data en amont. Sans données propres et maîtrisées, un ERP n’est qu’un écran brouillé.
4. Une crise qui révèle un enchaînement de décisions discutables
Plusieurs observateurs évoquent une accumulation :
Covid, inflation, guerre en Ukraine.
Concurrence féroce d’Action, Shein, Temu, et Noz.
Acquisition de Tati mal digérée.
Retard dans la digitalisation.
Stratégies commerciales contre-productives (remises immédiates plutôt que bons d’achat).
À cela s’ajoute la question de la gouvernance : Philippe Ginestet, 70 ans, est-il encore l’homme de la situation ?
Une illustration d’un échec systémique
Comme l’écrit Sophie Mourer, « un bon outil ne suffit pas. » C’est toute l’organisation qui doit être prête, mobilisée, formée. Le cas Gifi montre comment une transformation mal cadrée peut faire basculer une entreprise rentable dans une spirale négative.
Jean-Sylvanus Olympio enfonce le clou : il faut un directeur de projet expérimenté, impliqué dès la phase d’analyse, avec des tests, des ateliers métiers, une stratégie de bascule hors période de forte activité. Lui-même vient de finaliser un projet ERP en 3 ans dans une société réalisant 7 milliards d’euros de CA.
Réactions internes : entre résilience et tensions
Philippe Ginestet se veut rassurant : « Gifi est une entreprise résiliente. 2023 aura été une année charnière. » Il annonce :
16 ouvertures de magasins Bricolex en Île-de-France.
Une politique de prix plus agressive.
Des négociations en cours avec les fournisseurs pour obtenir des conditions plus favorables.
Des demandes de pénalités envers l’intégrateur.
Mais cette relance sera-t-elle suffisante pour restaurer la confiance ?
Leçons pour l’avenir : que retenir de l’affaire Gifi ?
Un ERP ne se choisit pas à la légère.
Il doit s’accompagner d’un projet d’entreprise global. Tous les départements doivent être impliqués.La gestion du changement n’est pas un accessoire.
Elle est centrale. Elle suppose des relais internes solides, des phases de formation, de tests, de communication.Mieux vaut retarder un projet que le précipiter.
Comme l’écrit Jean-Sylvanus Olympio : « Si on n’est pas prêt, on ne démarre pas ! »La résilience passe par l’humilité.
Reconnaître ses erreurs, dialoguer avec les équipes, corriger rapidement.La transformation digitale est une course d’endurance.
Elle exige méthode, patience, et écoute du terrain. Comme le rappelle Stéphanie Frigot : « Les meilleures solutions viennent souvent du terrain. »
Et maintenant ?
Gifi reste une marque forte, avec un réseau étendu et une notoriété importante. Le marché du discount reste dynamique. Mais face à une concurrence féroce, des erreurs stratégiques répétées, et une digitalisation mal maîtrisée, l’entreprise doit prouver qu’elle peut se transformer en profondeur.
Rien n’est joué. Mais tout doit être repensé.
🟠 Qu’en pensez-vous ? Avez-vous connu des déploiements ERP aussi critiques ? Vos commentaires sont les bienvenus.