La logistique : toujours un bouc émissaire facile pour les médias généralistes ?
Pourquoi l'article du Monde rate complètement sa cible
Dans un pays où les métiers de la logistique emploient près de deux millions de personnes, il est frappant de constater à quel point ce secteur est mal compris - et souvent maltraité - dans les médias généralistes. Le récent article du Monde, intitulé « La logistique, vivier d’emplois, mais à quel prix ? », en est une illustration parfaite. Publié le 30 avril 2025, il prétend « enquêter » sur les conditions de travail dans la logistique. Mais ce que le lecteur découvre, c’est un portrait réducteur et sensationnaliste, centré sur un seul site : l’entrepôt Amazon de Lauwin-Planque, dans le Nord.
On pourrait croire à un choix délibéré. Quand on veut critiquer la logistique, on va chez Amazon. C’est pratique, c’est connu, et ça coche toutes les cases d’un bon article « choc » : travail à la chaîne, robotisation, cadence, souffrance physique, précarité… tout y est. Mais est-ce vraiment représentatif de tout un secteur ?
L'angle Amazon : facilité ou paresse intellectuelle ?
Comme le rappelle Jean-Philippe Guillaume, co-fondateur de Supply Chain Village, dans sa réaction virale sur LinkedIn, « pour un journaliste qui ne connaît de la logistique que le nom (et encore !), il est difficile d’imaginer qu’on puisse exercer ce métier ailleurs que chez Amazon ».
Et c’est bien là le nœud du problème : cet article ne parle pas de logistique, il parle d’Amazon. Et plus précisément, d’un modèle d’organisation bien particulier qui ne reflète qu’une infime partie de la diversité logistique en France. Où sont les PME familiales ? Les plateformes mutualisées ? Les logisticiens spécialisés dans l’agroalimentaire, la santé, ou l’industrie ? Où sont les voix de terrain qui ne travaillent pas pour un géant américain ?
Comme le dit très justement Charles Balla dans les commentaires : « La logistique c’est bien plus que des cadences et des cartons ! »
Des constats justes… mais une lecture à charge
Soyons clairs : les difficultés existent. Oui, certains postes sont pénibles. Oui, le recours aux CDD et à l’intérim est trop élevé. Oui, la pression des délais peut générer des souffrances. Et oui, Amazon est souvent pointée du doigt pour sa politique de productivité algorithmique. Ce n’est pas un scoop.
Mais faut-il pour autant réduire toute la chaîne logistique à ce schéma ? La réponse est non. Car ce que l’article ne dit pas, c’est que la logistique, c’est aussi :
Un secteur qui forme sans discrimination de diplôme.
Un ascenseur social réel, comme l’ont souligné plusieurs commentateurs, notamment Gabriel Baillet.
Une capacité d’innovation impressionnante : automatisation, supply chains vertes, intelligence artificielle, etc.
Un levier stratégique pour l’économie nationale, notamment en période de crise sanitaire ou de pénurie.
Où sont les récits constructifs ?
Ce que déplorent Jean-Philippe Guillaume et de nombreux professionnels, c’est l’absence quasi-totale de nuance. « Pourquoi ne pas mettre en lumière son rôle, son importance, pour les collaborateurs, pour les entreprises, pour l’économie du pays et sa population ? », interroge-t-il. Pourquoi aucun média ne parle du pilotage en flux tendus, des projets S&OP, des équipes planning, des ingénieurs méthodes, des spécialistes en data supply chain ? La logistique ne se limite pas à la manutention.
Et pourtant, dans les entreprises, ce sont bien les logisticiens qui ont permis de maintenir les chaînes d’approvisionnement pendant la pandémie. Ce sont eux qui assurent chaque jour la livraison de médicaments, de denrées alimentaires, de composants industriels.
Une indignation partagée
Les commentaires postés sous la publication de Jean-Philippe Guillaume sont unanimes : le Monde passe à côté du sujet. Certains parlent de caricature, d’autres de paresse intellectuelle. D’autres encore ironisent : « Bref, un article du Monde… »
Des professionnels comme Thomas Daudré-Vignier ou Mohamed Allaoui soulignent combien la logistique offre de vraies perspectives d’évolution, de montée en compétence, d’emploi qualifié. Le secteur collabore avec des écoles, se digitalise, se responsabilise. Certains entrepôts sont certifiés Top Employeur. Est-ce trop demander que cela soit également mentionné ?
Un journalisme de contraste ou de clichés ?
L’angle choisi par Le Monde n’est pas journalistique, il est rhétorique. L’introduction évoque déjà un « paradoxe » que l’article va s’empresser de confirmer sans jamais réellement le questionner. Le seul témoignage d’opérateur mis en avant évoque un métier « sportif » qui use physiquement les salariés. Aucun contrepoint. Aucune voix positive. Aucune comparaison avec d’autres secteurs tout aussi éprouvants. Pourquoi ne pas interroger aussi ceux qui s’y épanouissent ?
Comme le dit Nicolas L., « la logistique mérite d’être présentée dans sa complexité, avec ses contraintes mais aussi ses opportunités ».
Et maintenant, on fait quoi ?
Les professionnels de la logistique ne demandent pas qu’on les encense. Ils demandent qu’on les comprenne. Qu’on parle de leurs métiers avec un minimum de rigueur, de curiosité, de pluralité.
L’appel lancé par Charles Balla — « pourquoi ne pas ouvrir les portes de nos entrepôts aux journalistes ? » — devrait être entendu. Oui, montrons. Oui, expliquons. Oui, débattons. Mais pas sur la base d’un seul exemple, encore moins s’il est biaisé.
Il est temps que les médias généralistes cessent d’opposer caricature et silence. Et qu’ils commencent à écrire sur la logistique ce qu’ils écriraient sur d’autres secteurs : des portraits complets, des récits humains, des analyses économiques, des reportages dans toute leur diversité.
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