Maîtriser l’IA pour briller en entreprise : conseil judicieux ou mirage technologique ?
Pourquoi les jeunes diplômés doivent repenser leur rapport à l’intelligence artificielle et éviter le piège de la dépendance aveugle aux outils.
Dans un post largement partagé sur LinkedIn, Aaron Levie, CEO de Box, propose un conseil direct aux étudiants : devenez des experts des outils d’IA, et vous semblerez venir du futur. Pour lui, l’aisance avec ces technologies est non seulement un atout personnel, mais aussi une opportunité d’accélérer la modernisation des entreprises. Le message est simple : si vous avez appris à travailler avec des copilotes intelligents pendant vos études, vous êtes déjà en avance.
Sur le papier, c’est séduisant. Et ce n’est pas faux. Mais est-ce suffisant ? Et surtout, est-ce que cette promesse tient pour les étudiants formés en supply chain, logistique, opérations ou achats, où les réalités du terrain dépassent souvent les capacités d’un simple prompt bien formulé ?
Une génération libérée des contraintes anciennes
Levie souligne un point clé : les jeunes diplômés ne sont pas encore « formatés » par la lenteur des processus d’entreprise. Ils arrivent avec une vision neuve, boostée par les IA génératives, et ne se demandent pas combien de temps une tâche devrait prendre, mais plutôt comment l’automatiser. Certains recruteurs l’ont bien compris : dans quelques mois, savoir utiliser Claude, Perplexity ou GPT-4 ne sera plus un bonus, ce sera le minimum.
Comme le dit un commentateur : « Vous aurez l’air d’un voyageur temporel face aux pratiques actuelles. »
Mais cela ne doit pas masquer une autre réalité : cette génération arrive aussi dans des organisations embourbées dans des systèmes hérités, des ERP rigides, des silos d’information, et surtout une culture de la résistance au changement.
L’IA ne remplace pas le bon sens
Plusieurs commentaires appellent à la prudence. Dan Mayer résume bien le risque : « Le danger est de croire que la vitesse est une superpuissance. En réalité, c’est le jugement qui compte. » Cette remarque vaut doublement dans les fonctions supply chain où chaque décision peut avoir un impact opérationnel majeur : retards, surcoûts, ruptures, gaspillage…
Nithin S., chez Apple, ajoute : « L’IA ne doit pas écrire à votre place. Écrire, c’est apprendre à penser. » Et c’est bien là tout l’enjeu : devenir expert en IA ne signifie pas se reposer sur l’IA. C’est apprendre à l’interroger, à la remettre en question, à combiner vitesse et qualité.
Apprendre à coder ? À concevoir ? À penser systèmes ?
Aaron Levie encourage aussi à sortir du simple usage : comprenez comment fonctionnent les modèles, testez leurs limites, explorez des disciplines connexes comme le design, le code ou la modélisation. Ce sont des compétences particulièrement pertinentes en supply chain, où le passage de la donnée brute à une prise de décision optimisée repose sur la capacité à penser systèmes.
Barada Sahu, CEO de Mason, le résume ainsi : « Le vrai déblocage ne viendra pas des outils, mais de notre capacité à penser à côté d’un copilote intelligent. »
Ce n’est pas un hasard si certaines écoles d’ingénieur commencent à enseigner les bases du prompting, ou à intégrer des ateliers d’optimisation de workflows avec des LLMs.
L’IA comme levier de transformation, pas comme rustine
Un autre risque, bien identifié par Richard Grillo (NBCUniversal), est de vouloir plaquer l’IA sur des workflows obsolètes. « La plupart des entreprises essaient encore de coller l’IA sur de vieux processus. Les jeunes talents, eux, n’ont pas ce bagage. » Et c’est justement là qu’ils peuvent apporter un vrai regard neuf — pas en accélérant les vieilles méthodes, mais en remettant en question leur pertinence.
Jason Radisson parle de cette bascule : « Les jeunes formés à l’IA ne demandent pas 'comment faire cette tâche', ils demandent 'faut-il encore faire cette tâche ?' »
Dans la supply chain, c’est une approche révolutionnaire. Plutôt que de se contenter d'automatiser la planification, pourquoi ne pas repenser les flux, les niveaux de stock, ou les processus de réapprovisionnement eux-mêmes ? Plutôt que d’accélérer la gestion des litiges, pourquoi ne pas les prévenir en amont avec des agents autonomes ?
Soft skills, jugement, collaboration : ce qui ne s’apprend pas avec GPT
Si l’IA donne une longueur d’avance, elle ne suffit pas. Paloma Vallés Marin (Coupa Software) rappelle qu’il faut allier fluence technique et connexion humaine. Et Dan Mayer insiste : « C’est le jugement forgé par l’expérience qui donne du sens aux outputs de l’IA. »
Dans les métiers de la chaîne d’approvisionnement, ce conseil est particulièrement crucial. L’automatisation ne remplace pas la capacité à collaborer, à convaincre un fournisseur, à gérer une crise logistique en temps réel. L’IA peut donner des scénarios, mais c’est au professionnel de trancher.
Les futurs leaders ? Ceux qui savent augmenter les autres
Carla Bourque (CEO) le dit très bien : « Le prochain talent ne saura pas seulement prompt-er, il saura aussi pitcher l’intérêt de l’IA aux décideurs qui ont peur de s’y mettre. » Cette capacité à faire levier sur l’IA, à la rendre compréhensible et acceptable dans l’entreprise, sera probablement la compétence la plus différenciante des cinq prochaines années.
Ceux qui arriveront à faire monter le niveau du reste de l’équipe en partageant leurs pratiques, en créant des copilotes internes, en co-construisant des solutions sur mesure, seront les vrais moteurs de la transformation.
En résumé : l’IA est une chance, à condition de savoir quoi en faire
Oui, les jeunes diplômés ont un avantage stratégique. Non, il ne se limite pas à savoir utiliser ChatGPT. Il réside dans leur capacité à transformer ce savoir-faire en réflexions profondes, en outils internes utiles, en projets qui améliorent réellement les opérations.
Et surtout, à ne pas tomber dans le piège de la dépendance : un bon professionnel en logistique ou en supply chain est d’abord quelqu’un qui comprend les systèmes, anticipe les conséquences, collabore avec les autres — et sait, quand il le faut, poser la souris pour parler à un humain.
Qu’en pensez-vous?