Veut-on encore des usines en France ?
Entre relocalisation rêvée et rejet local, une fracture industrielle assumée ?
Dans un monde post-Covid marqué par le réveil brutal de nos dépendances industrielles, la relocalisation est devenue un mot magique. Politiciens, patrons, experts… tout le monde semble d’accord sur la nécessité de « produire à nouveau chez nous ». Et pourtant, sur le terrain, ça coince. L'exemple récent du projet d'usine Safran à Rennes, évoqué dans un post viral de Philippe Silberzahn, met en lumière un malaise bien plus profond : voulons-nous vraiment des usines en France ? Ou préférons-nous rester dans l’illusion d’un pays propre, sans nuisances… mais sans souveraineté ?
Une hostilité silencieuse, mais bien réelle
Safran, géant industriel français, souhaitait implanter une usine de moteurs d’avion à Rennes, créant 500 emplois. Projet abandonné sous la pression d’élus locaux, principalement écologistes. Cela vous rappelle quelque chose ? En 2022, Louis Le Duff renonçait à implanter son usine Bridor, également en Bretagne, après des années de recours administratifs. Deux projets, deux échecs… et une question centrale : sommes-nous en train de saboter notre propre réindustrialisation ?
Plusieurs intervenants sur LinkedIn, comme Michel Wibault, Christian Terrier ou Vincent Coppola, soulignent une tendance inquiétante : une minorité bruyante, idéologique, hostile à toute forme d’industrie, semble aujourd’hui capable de bloquer des projets entiers. En démocratie, la minorité n’a pas toujours raison. Et pourtant, elle gagne souvent.
L’illusion de la propreté : un rejet culturel
Comme le résume fort bien Laurent Latorse : « une usine, c’est sale ». C’est ce que pense encore l’imaginaire collectif. Les temps modernes de Chaplin ont laissé une trace indélébile. Et si ce rejet ne venait pas d’une hostilité consciente, mais d’une vision profondément ancrée dans notre culture ? Jean-Philippe Timsit rappelle qu’on nous a longtemps expliqué que l’usine, c’était pour les pays pauvres. Nous, en France, on ferait des services. On réfléchirait. On vendrait du conseil et du software.
Résultat ? On a perdu les savoir-faire… et l’envie de produire.
La France schizophrène : souveraineté industrielle ou confort local ?
Le débat fait rage dans les commentaires. Certains dénoncent une forme d’hypocrisie nationale. On veut la souveraineté, mais pas les inconvénients. On veut le beurre, l’argent du beurre et la crémière. Comme le dit Dominique Coasne : « Cela s'avère impossible à réaliser. » Jean Schmitt, quant à lui, rappelle que l’hostilité aux usines existe partout dans le monde. Mais il est urgent, selon lui, de ne plus laisser ces blocages freiner l’action en France.
Mais alors, comment concilier relocalisation et acceptabilité ? Micael Fischer propose un autre regard : ne pas opposer relocalisation et écologie, mais réconcilier les deux. Cela suppose d’écouter, de dialoguer, de mieux expliquer les bénéfices des projets industriels. D'où l'importance d’une vraie pédagogie, comme le rappelle Frédéric Ollivier.
Produire propre, c’est possible ?
Oui, affirment de nombreux professionnels. Gustave Paoli le martèle : on sait produire mieux avec moins. Grâce à une culture Lean authentique, la France possède de vrais atouts pour une industrie compétitive et respectueuse de l’environnement. Toyota et ses fournisseurs français en sont la preuve vivante.
Mais cela implique une transformation profonde, une vision industrielle de long terme. Et surtout, des arbitrages. Comme le rappelle Marianne Chaumier, les freins à l’implantation d’usines ne sont pas uniquement écologiques : foncier, infrastructures, énergie, accès à l’eau, gouvernance… la complexité est réelle. Le « zéro artificialisation nette » rend les projets encore plus difficiles.
Le vrai problème : les jeunes (ne) veulent (plus) d’usine ?
Plusieurs commentateurs vont plus loin : au fond, qui veut encore travailler en usine ? Jean-Claude Bihr, Philippe Schleiter ou encore Damien Collignon posent la question de la culture du travail. Christian Terrier évoque même les « 30 paresseuses », en écho aux « 30 glorieuses ». La critique est rude, mais reflète une frustration largement partagée : nous avons collectivement perdu le respect du travail manuel et technique.
Et pourtant, comme le souligne Pierre-Louis Malphettes, les métiers de l’industrie sont riches, passionnants, tournés vers l’avenir. Encore faut-il les rendre visibles, attractifs, et surtout… valorisés socialement.
Le retour du politique : entre démagogie et lâcheté
Beaucoup pointent la responsabilité des élus. Thierry Gibert dénonce la démagogie ambiante : promettre des emplois industriels sans accepter les usines est une escroquerie intellectuelle. Claude Revel évoque les lenteurs administratives, les incohérences réglementaires, les contradictions permanentes.
D’autres, comme Frédéric Gros, rappellent que les décisions industrielles se jouent à trois : l’État, les entreprises… et les territoires. Et ce dernier acteur, souvent oublié, peut faire ou défaire les projets.
Une fracture entre discours et réalité
Finalement, le cas Safran, bien qu’emblématique, n’est peut-être pas si isolé. Olivier Lluansi le dit clairement : des centaines de projets industriels se font, loin du bruit médiatique. Mais ces exemples positifs ne doivent pas occulter les blocages persistants, surtout dans les zones urbaines ou semi-urbaines.
Le débat n’est donc pas binaire. Il n’oppose pas les gentils industriels aux méchants écolos. Il révèle une société en tension, tiraillée entre son désir de souveraineté et son refus des contraintes. Une société qui veut produire, mais à condition de ne pas voir, sentir ou entendre la production.
Vers une nouvelle acceptabilité industrielle ?
L’architecte Thierry Bogaert, cité par plusieurs intervenants, propose une voie originale : repenser l’architecture des usines pour améliorer leur acceptabilité sociale. Son livre « Beyond Dust » explore 80 exemples dans le monde. Et si c’était ça, la clé ? Rendre l’usine désirable, visible, intégrée dans son territoire ?
Car relocaliser ne peut pas être une simple décision politique ou économique. C’est un choix de société. Une reconquête culturelle. Un pacte entre citoyens, entreprises et élus.
Conclusion : Produire, c’est politique
Ce débat sur la relocalisation révèle bien plus qu’un problème industriel. Il expose notre rapport au travail, à l’environnement, à la démocratie, à la vérité. Et il oblige chacun à sortir du confort des slogans pour entrer dans la complexité du réel.
Alors, voulons-nous vraiment des usines en France ? Sommes-nous prêts à les accepter près de chez nous, à les défendre, à y travailler ? Ou continuerons-nous à rêver d’un monde sans bruit, sans poussière… mais sans avenir industriel ?
La balle est dans notre camp.
Si vous avez des points de vue, des témoignages ou des solutions à proposer, partagez-les en commentaire. Le débat ne fait que commencer.